Cette fierté qui enferme

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Lors des entretiens de conseil conjugal, j’entends souvent : «j’ai ma fierté» ou encore «c’est par fierté que … », fierté qui semble justifier qu’on renonce à ou qu’on refuse telle démarche ou telle demande qualifiées d’humiliantes. Si les conséquences sont parfois anecdotiques, elles sont le plus souvent réellement importantes, cette fierté allant jusqu’à menacer la survie matérielle ou relationnelle de celui ou celle qui s’y enferme.

Interpellée par ce mot et cette attitude,  j’ai consulté plusieurs définitions proposées par les dictionnaires. La première parle d’un sentiment de supériorité, synonyme d’arrogance,  je ne la retiens pas car ce n’est pas du tout cette fierté dont je veux parler ici. La deuxième définit la fierté comme un sentiment légitime de satisfaction de soi. La troisième enfin, évoque le sentiment de son honneur ou de sa dignité, on pourrait dire : son amour-propre.

Amélie a choisi d’assumer seule l’arrivée d’un premier puis d’un deuxième bébé, malgré la réprobation de sa famille avec laquelle elle a coupé les liens. Aujourd’hui au RSA, isolée et désemparée, elle refuse de demander de l’aide à ses parents qui habitent la même ville qu’elle. A l’humiliation et à la blessure affective d’avoir été rejetée autrefois, s’ajoute la honte de ne pas réussir à s’en sortir seule. Elle aurait aimé revenir vers eux la tête haute, et non la main tendue dans un appel au secours. Amélie choisit le chemin difficile de la solitude et de l’assistance sociale.

Marie a été abandonnée par son compagnon quand elle a décidé, contre son avis, de garder leur quatrième enfant, atteint d’un handicap. Elle fait face à la situation  sur tous les fronts : difficultés financières car elle n’a pu conserver son emploi, difficultés éducatives avec les trois ainés en manque de père, surmenage en raison des soins nécessaires dus au petit dernier, et isolement… Tout cela avec le soutien mais aussi le regard parfois soupçonneux des services sociaux. Lorsque Marie est informée de son droit à recevoir une pension alimentaire du père, elle répond : « Non, j’ai ma fierté, ce serait à lui de le proposer, je ne vais certainement pas lui demander ». Accablée par le sentiment de ne pas être à la hauteur, se jugeant mauvaise mère, elle aura eu cet ultime sursaut d’amour-propre. Mais à quel prix ! Le père ne semble pas responsable, certes, mais Marie n’est pas la seule perdante. Pourrait-elle considérer que la priorité est de protéger ses enfants du manque ?

Chez des couples où la communication est tendue et difficile, j’observe aussi des comportements dits de « fierté » à ne pas pouvoir ou vouloir demander à l’autre une attention, de l’aide, de la tendresse : « s’il m’aimait vraiment il /elle saurait bien ce dont j’ai besoin ». Comme si l’autre pouvait lire dans nos pensées ! On appelle cela le jeu des devinettes…

Cela se corse dans le conflit ouvert, en couple comme en famille. Des gestes, des paroles, des manquements ont blessé et chacun reste dans son coin, attendant par une sorte de fierté mal placée, que l’autre fasse le premier pas pour s’excuser. Ou encore, rongé de culpabilité ou de remords, on n’ose pas revenir vers l’autre, de peur d’être mal reçu et donc blessé à son tour : fierté encore. Ou on ne sait pas dire à l’autre qu’il nous a meurtri, peut-être à son insu, par peur du ridicule, ou de pas être entendu, fierté toujours.

Je pourrais continuer avec d’autres exemples observés. Mais ce qui importe ici c’est de garder conscience que rien n’est inéluctable ou immuable. Il suffit parfois d’un petit rien, d’un petit mouvement vers l’autre, pour tout faire basculer. Il faut juste un peu de confiance en l’autre, une bonne idée à tenter, l’encouragement d’un tiers, pour sortir de cette fierté qui souvent enferme.

 

Deux citations en guise d’illustrations :

“La fierté entrave le progrès.” de Hazrat Ali

 

“La fierté a rarement un juste milieu, on en a trop ou pas assez. »  de Blessington